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Quitter la terre
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21 mars 2005

"Ode à Climène" (Antoinette Deshoulières)

Ne pourra-t-on vous contraindre / À quitter de tristes lieux ? / Faudra-t-il toujours se plaindre / De ne point voir vos beaux yeux ? / Encore quand les fleurs nouvelles / Naissent partout sous les pas, / Quand toutes les nuits sont belles, / La campagne a des appas, / Mais quand l’hiver la désole, / Qu’on ne peut se promener, / Climène, il faut être folle / Pour ne pas l’abandonner. / De ce qui vous y peut plaire / Daignez nous entretenir : / Je ne vous qu’une chimère / Qui vous y peut retenir. / Oui j’ai deviné sans doute / D’où vient un si long séjour : / Votre jeune cœur redoute / Un mal qu’on appelle amour. / Vous croyez qu’on ne le gagne / Qu’au milieu des jeux, des rires : / Il se prend à la campagne / Comme il se prend à Paris. / On fait bien quand on évite / Une tendre passion ; / Mais, hélas ! en est-on quitte / En fuyant l’occasion ? / Non, c’est en vain qu’on s’assure / Contre ce qu’on peut prévoir ; / Une bizarre aventure / Met un cœur sous son pouvoir. / Cette solitude affreuse / Où vous passez vos beaux jours / Est souvent plus dangereuse / Que les plus superbes cours. / Votre désert est sauvage : / Dans un plus sauvage encore / Angélique fière et sage / Rencontre le beau Médor. / Quittez donc ces champs stériles / Pour vous garder impuissants ; / Venez de feux inutiles / Faire brûler mille amants. / Ne redoutez point le piège / Qu’ils tendront à votre cœur : / De tous les forts qu’on assiège / On n’est pas toujours vainqueur. / La sagesse la plus frêle / Avec le plus beau berger, / Si le cœur ne s’en mêle, / Ne court pas un grand danger. / Vous ne voudrez pas en croire / Tout ce qu’on vous en dira ; / Mais écoutez une histoire / Qui vous persuadera. / J’allais cacher ma tristesse / Dans ces aimables déserts, / Où pour sa tendre maîtresse / Desportes faisait des vers. / Je m’étais assise à peine / Dans le plus sombre du bois, / Quand j’ouïs du beau Philène / Et les soupirs et la voix. / Seul aux pieds d’une bergère / Qui riait de son souci, / Cet amant tendre et sincère / Tout en pleurs parlait ainsi : / « Avec quelle indifférence / Passez-vous vos beaux jours ! / Iris, dans quelle indolence / Demeurerez-vous toujours ? Non, vous deviendrez sensible : / Ce cœur, ce superbe cœur, / À l’amour inaccessible / Sentira sa vive ardeur. / Quelqu’un est né pour vous plaire ; / Rien ne vous en sauvera : / Ce que je pourrai faire, / Un plus heureux le fera. / Tout aime dans la nature : / Dans le barbare séjour / Où règne l’âpre froidure / On sent les feux de l’amour. / Le temps, d’une aile légère, / Emportera loin de vous / Cette beauté passagère, / Dont les charmes sont si doux. / Lors, d’une vaine sagesse / Reconnaissant les abus, / Vous prendrez de la tendresse, / Et vous n’en donnerez plus. / En tout temps l’amour nous dompte ; / On règle en vain ses désirs : / Vous aurez, à votre honte, / Ses peines sans ses plaisirs. / Craignez sa juste colère, / Et, par un doux repentir, / Épargnez-vous, ma bergère, / Les maux qu’il me fait sentir. / Aimez un amant fidèle, / Quoi qu’en dise la raison : / Jeune Iris, tant qu’on est belle, / Elle n’est pas de saison. / Contre un amant qui sait plaire / Elle perd toujours son temps : / Croyez-moi, faites-la taire / Encore quinze ou vingt ans. / Mettez votre cœur en proie / Aux amoureuses langueurs ; / Il n’est de solide joie / Que dans l’union des cœurs. » / Ainsi, d’un air agréable, / Philène, ce beau berger, / Aux belles si redoutables, / La pressait de s’engageait. Les oiseaux, le doux zéphyr, / Et les échos d’alentour, / Comme lui semblaient lui dire : / « Rien n’est si doux que l’amour. » / Mais le cœur de l’inhumaine / Se taisait obstinément, / Quand le cœur se tait, Climène, / Tout parle inutilement.
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