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Quitter la terre
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28 janvier 2005

Semper tibi

Depuis deux ans, nos corps ne se sont plus connus, depuis son lâche appel qui vint confirmer un pressentiment : il partait ailleurs, sans me laisser le goût d'une dernière fois, l'adieu que nos peaux, après tant de plaisir, méritaient. Je me retrouvais seul dans un Paris qui portait les cinq années de notre bonheur. Balayées avec dédain. Plus de sommeil, un fardeau en guise de vie. Des rêves de mort. De là-bas, il me laissait exsangue.Méprisé. Détruit. Je sentais que dans la mécanique de mon corps, une chose était brisée, une fêlure. Pourtant je ne lui en ai jamais voulu, il gardait la plus belle place qu'on accorde dans son cœur : c'était l'autre que je ne pouvais accepter. Je le refusais. Celui qui me le volait et qui connaîtrait mon ancien plaisir. Puis il m'annonça qu'ils habiteraient ensemble. Puis leur pacs. Mais ma douleur disparut progressivement : je me sentais coupable. Si j'oubliais mon amour pour lui, je l'oubliais. Mais il faisait partie de moi, il est encore en moi. Être avec quelqu'un pendant cinq, du moment où l'on quitte vraiment l'enfance et que l'on entre dans l'âge d'homme reste un moment privilégié, décisif. Il a fait ce que je suis et j'ai fait ce qu'il est. « J'ai eu beaucoup de chance de t'avoir comme petit copain », m'a-t-il répété hier. Cet automne, j'ai acheté le nouvel album de Doriand, et une chanson m'a fait revivre les sentiments passés, la rancune, dans toute sa force, et je n'ai plus eu honte de ce que j'ai pu ressentir à ce moment-là. Une belle chanson : « L'échiquier ». Celle qui quitte le narrateur ne mérite pas « une belle chanson d'amour ». Quelqu'un dort avec celui que j'aimais. « Je voudrais vous voir morts. » Doriand le dit, je l'ai pensé, souhaité tant de fois. Pourquoi seraient-ils en vie, dans leur beau sommeil, pendant que les souvenirs tournent dans l'obscurité de ma nuit insomniaque. « Je n'serai plus / qu'un pauvre cavalier / honteux, humilié, / qui vivrait l'enfer / d'un jeu solitaire / imaginant je ne sais quoi… / qu'il baise mieux que moi. » Comme Doriand, je ne serai pas un « bon perdant », je ne tomberai plus. Et je ne regretterai pas mon vœu, « vous voir morts ». Aujourd'hui, je sais que j'ai vécu une belle histoire. Nos corps ne se sont pas reconnus, mais chaque fois que l'on se voit, il est toujours aussi important dans ma vie et toujours nos rires se reconnaissent. Il y a peu d'êtres d'exception.
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